Translate

mercredi 29 août 2012

Réflexions sur le dopage : science sans conscience


La lutte antidopage ou la déroute des scientifiques

"J'ai subi récemment des examens des os, et les tests de densitométrie ont révélé que j'avais le squelette d'une vieille de soixante-dix ans !" (Déclaration faite, un jour, sur le ton de la plaisanterie, par Sophie Moniotte, 25 ans, alors patineuse artistique aux côtés de Pascal Lavanchy).

Il y a quelques années maintenant, je tombe, un jour, nez à nez avec Jean-Paul Escande, professeur de médecine bien connu et pourfendeur du dopage. Ça s'est passé dans un bus parisien. Et là, je saute sur l'auguste professeur de médecine et lui pose tout de go une question simple :

- Prenons un athlète qui affiche 80 kg de poids de forme. Il se blesse, ce qui va lui infliger quelques semaines d'immobilisation, avec la fonte musculaire qui va avec. Seulement voilà : d'importants championnats se profilent à l'horizon. Ma question au médecin : pourquoi la médecine sportive n'aiderait-elle pas ce sportif à récupérer plus vite sa musculature de manière  à revenir plus rapidement à son poids de forme antérieur ? Et en quoi cette procédure relèverait-elle du dopage si elle est strictement encadrée par des médecins et si notre sportif se contente de revenir à son poids initial ?

Notre professeur de médecine s'est contenté de hocher la tête en marmonnant que, dans l'état actuel des choses, il ne voyait pas bien comment l'on pourrait faire.

Il est peut-être là, le vrai problème du dopage : dans la couardise de scientifiques qui ont abandonné le terrain à de simples bureaucrates ou à des chasseurs de sorcières, en déconnection totale avec la réalité.

La réalité ? Dites-moi donc ce que cette image (bien réelle) vous inspire : Coupe du monde de cyclisme, 2003.

Pratiquer le cyclisme en professionnel nuit gravement à la santé !
C'est moi qui ai rajouté la question en lettres rouges : "comment protéger ce cycliste des gaz d'échappement ?????"

Un peu à la même époque que la rencontre avec le professeur Escande, soit au temps de la présence de Lance Armstrong (et Jan Ulrich) dans le Tour de France, je prends l'initiative d'écrire à la direction du quotidien l'Équipe ainsi qu'au ministère de la Jeunesse et des Sports - nous devions être en avril ou au début de mai - et je leur fais la proposition suivante : je suggérais que quelqu'un profite de la future ascension de l'Alpe d'Huez (lequel figurait au programme du Tour de France cette année-là) pour se livrer à une petite expérience scientifique. Précision utile : le ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque s'appelle Jean-François Lamour et j'ai de bonnes raisons de m'adresser à lui : il est double médaillé olympique d'escrime et, surtout, médecin de formation.

Ça vous paraît bizarre, n'est-ce pas, une petite expérience scientifique lors de l'ascension de l'Alpe d'Huez ? Alors, offrons-nous un petit pense-bête.

 

 

En regardant ces images, vous avez compris, je suppose, quel était l'objet de mes préoccupations. Oui ? Non ? Regardez bien, surtout les deux dernières images.

Ce qu'on voit sur ces images, et surtout lors du direct à la télévision ? Ce sont des coureurs cyclistes s'insinuant dans un véritable boyau d'un peu plus d'un mètre de large, avec un mur de spectateurs à gauche, un mur de spectateurs à droite, qui s'écartent au dernier moment pour laisser passer les coureurs. Regardez bien à quel niveau se situe la tête - donc les narines - des cyclistes par rapport à la tête des spectateurs.

Vous avez compris ?

Si vous avez un peu de jugeote, alors, vous avez compris que cette montée de l'Alpe d'Huez consiste à imposer aux coureurs de traverser un boyau d'un peu plus d'un mètre de large, et dans lequel l'air est très pauvre en oxygène et très riche en CO2, sans oublier l'humidité de l'air expiré et les microbes qui vont avec !

- pauvre en oxygène : normal, nous sommes en altitude, et de surcroît, les dizaines de milliers de spectateurs absorbent une grande partie de l'oxygène ambiant.

- riche en CO2 : regardez bien les images et estimez la quantité de dioxyde de carbone rejeté par ces milliers de narines... Mettons que le temps soit beau, donc ensoleillé, ce qui va nous faire une température de l'ordre de 40/45° au soleil (vous voyez des arbres sur les photos ?). Principe de physique : l'air chaud est plus léger que l'air froid, ou dit autrement : les couches d'air se disposent toujours de bas en haut, selon un gradient de température croissant. Ce qui veut dire qu'au soleil, l'air expiré par les spectateurs (éjecté à 37°, donc plus "froid" que l'air ambiant) va être littéralement plaqué au sol jusqu'à ce qu'il se réchauffe et se dissipe, ce qui va prendre un certain temps. Et c'est dans cette zone-là que va se situer la tête des coureurs, et c'est aussi une des raisons - outre la pente - qui expliquent que bien des coureurs se mettent systématiquement en danseuse, comme pour s'élever au-dessus des miasmes générés par la respiration du public.

- humidité et microbes : l'air que nous expirons est bien plus humide que l'air ambiant ; pour preuve, en hiver, lorsque nous respirons et parlons, de la buée se forme instantanément sous forme de vapeur d'eau. Quant aux microbes, difficile d'imaginer que, parmi les dizaines de milliers de spectateurs massés sur ces pentes, personne ne souffre de rhume ou de bronchite, avec les conséquences qu'on imagine lorsque les gens éternuent ou toussent ! 

- ajoutons à tout cela que, dans cet étroit boyau, se faufilent les véhicules accompagnateurs, ou de la direction de course, motos des journalistes et photographes, avec leurs pots d'échappement, comme sur la toute première image.

Tout cela fait du Tour de France (+ le Giro et la Vuelta) l'épreuve athlétique la plus polluée au monde !

C'est la raison pour laquelle je demandais à la direction de l'Equipe, ainsi qu'au médecin-ministre de la Jeunesse et des Sports de faire procéder, aux fins d'analyse, à des prélèvements d'air dans une zone située entre 1 et 2 mètres de hauteur à l'intérieur de ce boyau formé par les spectateurs du Tour de France.

Voilà qui nous aurait livré des informations scientifiques importantes sur une des principales motivations de la consommation d'EPO (exogène) par certains coureurs cyclistes.

Bien entendu, je n'ai jamais eu la moindre réponse à mes courriers. Mais, entre nous, nul n'est besoin de sortir de Harvard ou de Stanford pour comprendre que, dans ces étapes de haute montagne, notamment avec tout ce public, des athlètes en plein effort doivent affronter une dette d'oxygène tout à fait phénoménale.

Autre question que je posai, naguère au professeur de médecine Jean-Paul Escande : si, pour escalader un col ou, plus généralement, pour effectuer un effort physique donné, j'ai besoin de 2000 volumes d'oxygène et si, pour cause de raréfaction de l'air (altitude) et de pollution (spectateurs, véhicules accompagnateurs), je n'ai que 1600 volumes à disposition, où diable vais-je trouver les 400 volumes manquants ?

Là encore, zéro réponse de notre pourfendeur du dopage. Dans ces conditions, j'estime qu'en l'absence d'une réponse scientifique adéquate, la prise d'EPO par les coureurs cyclistes relève non pas du dopage mais de la plus simple LÉGITIME DÉFENSE !

À moins que l'UCI n'opte bientôt pour une distribution systématique de masques à oxygène lors des étapes de montagne ainsi que pour l'adoption tout aussi systématique de véhicules électriques (accompagnateurs) sur les courses cyclistes !

Chiche !

Mais, au fait, que quelqu'un me donne une définition scientifique - et non policière ! - du "dopage".

Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que l'on voit bien que ce sont les tests de dépistage en laboratoire - cf. le fameux laboratoire de Chatenay-Malabry - qui ont toujours servi à démasquer les présumés dopés, le tout sur la base de la découverte dans le sang ou les urines de telle ou telle substance interdite.

Question : quid des caissons hypoxy, des séjours en altitude, de l'électrostimulation voire de la sophrologie ou de l'hypnose ? Vous saisissez ? Non ? Alors voyons ce qu'il en est   des effets de l'altitude sur la performance sportive. 




Je cite : Après plusieurs semaines en altitude, on observe une augmentation du nombre des érythrocytes circulants (globules rouges). Le manque d'oxygène stimule en effet la sécrétion d'érythropoïétine...

Pour mémoire, le petit nom de l'érythropoïétine c'est E.P.O. Alors, bien entendu, il y a l'EPO endogène et l'EPO exogène... Il n'empêche, une augmentation des globules rouges dans le sang n'est pas forcément synonyme de dopage. Elle peut être obtenue de plusieurs manières, comme en attestent les performances, dans les courses de fond et de demi-fond, des ressortissants des hauts-plateaux africains ou latino-américains.

Rappelons que l'oxygène est le principal carburant de l'effort musculaire.


Quelle que soit l'altitude à laquelle nous nous trouvons, l'oxygène représente près de 21% des gaz présents dans l'air. Comme l'air se raréfie avec l'altitude, la quantité d'oxygène disponible diminue. Alors qu'au niveau de la mer, les pressions de l'air et de l'oxygène sont respectivement de 760 mmHg et 150 mmHg (mmHg = millimètres de mercure), au sommet de l'Everest, ces valeurs sont divisées par trois (250 et 43 mmHg).
L'appauvrissement de la quantité d'oxygène dans l'atmosphère se répercute à tous les "étages" de l'organisme. La pression en oxygène baisse au niveau des poumons, du sang et des tissus musculaires.
Or, nous savons que l'oxygène est un élément majeur grâce auquel l'organisme produit l'énergie nécessaire à la préservation de sa vie et de sa capacité d'action (physiologie / l'oxygène). Moins d'oxygène signifie moins d'énergie ce qui induit à son tour moins de possibilités d'action.
Nous allons voir comment l'organisme se "modifie" pour tenter de limiter la perte de son autonomie motrice. (…) Nous avons signalé que la baisse de la densité de l'air a deux actions antagonistes sur l'exercice physique :

- elle le favorise par une diminution de la résistance à l'avancement ;- elle le limite par la baisse de la quantité d'oxygène disponible ;
Rapportés aux filières énergétiques, ces deux mécanismes rendent les exercices anaérobies (sans oxygène) plus faciles et les exercices aérobies plus difficiles. Ainsi à Mexico, les records mondiaux ont été égalés ou améliorés jusqu'au 800m. A partir de cette distance, les performances ont été réduites dans des proportions comprises entre 2 et 15% selon les épreuves (par exemple le marathon a été couru en plus de 2h20'). Si nous nous intéressons plus spécialement aux qualités maximales aérobies (VO2max), nous constatons que, même chez des sujets acclimatés, ces qualités diminuent avec l'augmentation d'altitude.
Un sédentaire qui déciderait d'aller passer ses vacances dans la capitale de la Bolivie (La Paz : 3700m) verrait sa VO2max diminuer de près de 15%. Un marathonien de haut-niveau choisissant d'aller s'entraîner au même endroit verrait sa VO2max chuter de 30%.
Cette baisse est en partie liée à un temps d'acclimatation insuffisant. Toutefois le temps "ne fait pas tout à l'affaire". En effet, les habitants nés et ayant toujours vécu en altitude présentent eux-aussi des niveaux aérobies maximums inférieurs à ceux des personnes vivant au niveau de la mer.

Nous tirons la grande majorité de notre énergie de processus de transformation ayant l'oxygène comme accepteur final. Sans cet élément, nous ne disposerions que de 5% de notre capacité énergétique. 
Si l'oxygène est important pour la survie, il l'est également pour la réalisation d'une performance physique. Parmi toutes les causes d'arrêt de l'exercice, l'hypothèse d'un déficit d'oxygène est largement répandue. Cette conjecture fait l'objet d'un grand débat entre spécialistes de la physiologie de l'effort. Deux interrogations sont débattues. 
1. La capacité à fournir un effort important est-elle limitée par l'apport d'oxygène ?
2. Si tel est le cas, où se situe la limitation ? (…) Nous avons vu que l'hémoglobine capte l'oxygène entrant dans le sang puis le transporte jusqu'aux cellules. Si à la sortie des poumons, la totalité de l'hémoglobine a fixé de l'oxygène, nous pouvons estimer que la barrière pulmonaire ne limite pas le passage de l'oxygène. 
Au repos, 97-99% de l'hémoglobine porte de l'oxygène. Nous disons qu'elle est saturée en oxygène à 97-99%. A l'exercice intense, les sujets sédentaires et moyennement entraînés ne montrent pas de baisse du taux de saturation de l'hémoglobine. En revanche, chez certains athlètes très entraînés ce taux baisse jusqu'à atteindre des valeurs proches de 90% (Powers et al 1988). Près de 10% de l'hémoglobine n'a pas le temps de se charger en oxygène pendant le passage au niveau des poumons (Dempsey et al 1984, Williams et al 1986, Powers et al 1988, Nichols et al 1999). La diminution de la capacité de transport de l'O2 qui résulte de cette baisse de la saturation pourrait être un facteur limitant la performance (Ekblom et al 1975, Hughson et al 1995). 
Cette éventuelle limitation centrale est confirmée par le fait que tous les moyens permettant d'améliorer l'apport d'oxygène aux muscles (dopage sanguin, ingestion d'EPO, inhalation d'air enrichi en oxygène) contribuent, chez les athlètes confirmés présentant une désaturation sanguine en oxygène, à : 
- augmenter la VO2max
- ramener la saturation en oxygène à ses valeurs maximales (Powers et al, 1989). 
En revanche, ces artifices ne changent rien aux valeurs maximales aérobies atteintes par des sujets moins entraînés ne présentant pas de baisse du taux d'oxygène dans le sang.


Citation : Tous les moyens permettant d'améliorer l'apport d'oxygène aux muscles (dopage sanguin, ingestion d'EPO, inhalation d'air enrichi en oxygène) contribuent, chez les athlètes confirmés présentant une désaturation sanguine en oxygène, à 1. augmenter la VO2max, 2. ramener la saturation en oxygène à ses valeurs maximales.

Je repose, donc, ma question de tout à l'heure, en la modifiant légèrement : ces trois procédures, a. dopage sanguin, b. ingestion d'EPO, c. inhalation d'air enrichi en oxygène sont-elles également  assimilables à du dopage ?

Quelle que soit la réponse, il me faut une explication scientifique !

Une autre question ? Elle porte sur l'effet placebo.

On a vu Marion Jones se livrer à une bien pénible séance d’auto-flagellation en public, au cours de laquelle elle a avoué avoir pris des produits dopants, ce qui lui a valu de perdre ses titres glanés aux J.O. de Sydney. Et moi de m'interroger : mais comment sait-elle qu'elle était dopée ? Jones était-elle suffisamment calée en pharmacologie pour analyser, elle-même, le contenu des fioles qu'on lui a refilées ?

Question : et si le gourou de Marion Jones s'était contenté de lui refiler du liquide physiologique ou du sirop de glucose, que l'autre a avalé en croyant avoir pris un produit magique ? Ce qui expliquerait pourquoi elle n'a jamais été testée positive ?

Question : et si tel ou tel "témoin" attestant avoir vu Lance Armstrong prendre tel ou tel produit dopant se trompait complètement, dès lors que le gourou de l'US-Postal avait pris soin d'introduire un placebo dans les seringues, en lieu et place de l'E.P.O. ? On aurait eu des coureurs "dopés sans dopant". Inimaginable ?

Que l'on m'explique, alors, pourquoi l'on enseigne l'effet placebo en Fac de médecine !  

Et c'est bien parce que cet effet placebo ne saurait être négligé dans la pratique sportive que la reine des preuves, en matière de dopage, devrait rester le test scientifique - tel que pratiqué sur le Tour de France - et lui seul !

Quand je pense que la France dispose d'un institut de pointe en matière de recherche sur le sport, je veux parler de l'INSEP (Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance) !

Une autre citation ?
Fundamentalism in the United States went stronger and instilled into the people the idea that alcohol was the cause of all the evils and sins; therefore, banning alcohol consumption would end with these problems.
Le fondamentalisme se mit à prendre toujours plus d'ampleur aux Etats-Unis, instillant dans la tête des gens l'idée selon laquelle l'alcool était la source de tous les maux et de tous les péchés. C'est pour cette raison qu'il fallait en finir avec l'alcool si l'on voulait éradiquer ces problèmes. 


Prochain épisode : Le complot, ou quand l'USADA (agence états-unienne pour la lutte antidopage)  réinvente le puritanisme fondamentaliste pour assouvir des buts inavouables