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mercredi 1 septembre 2010

Débriefing 01/10



Amnésies collectives

On dit que les foules sont comme des torrents de boue, qu'elles ne se comportent pas comme une somme d'individus intelligents, ce qui devrait les rendre plus intelligentes que chacun des individus qui les composent, mais qu'elles obéissent à des pulsions plus mécaniques (d'aucuns vont même jusqu'à évoquer la mécanique des fluides) qu'organisées et pensées. Nous avons eu une démonstration récente de ce fait dans la récente bousculade meurtrière survenue à Duisburg, en Allemagne. Une foule, ça agit, ça ne pense pas, qu'il s'agisse de fourmis, de gnous lancés à fond la caisse à travers les plaines du Serengeti, ou des manifestants d'une Love Parade !

Voici quelque temps déjà que la foule des experts en football a jeté son dévolu sur les joueurs de l'Equipe de France et leur sélectionneur, Raymond Domenech, ce travail de sape ayant grandement réussi, si l'on en juge par les mines plus que réjouies de certains, l'air de dire : on vous l'avait bien dit, Domenech allait se planter !

Rappelons qu'en Afrique du Sud, il n'y avait pas la Russie, pas la Bulgarie, pas la Hongrie, pas la Belgique, pas l'Irlande (on sait pourquoi), pas l'Ecosse... Rappelons aussi que les participations de la France en phase finale de coupe du monde ne sont pas si nombreuses que ça ! Rappelons encore qu'en Afrique du Sud, il y aura quelques éliminés prestigieux dès les phases de poules, à l'instar de l'Italie, le dernier vainqueur de la coupe ; une première sans doute...

Voir la presse française, en tout cas une bonne partie de ses représentants, se féliciter ouvertement, ou presque, de la déconfiture de leur équipe en Afrique du Sud, voilà qui me laisse, moi, qui ne suis même pas Français, assez pantois, mais je connais la chanson. Alors pourquoi ferai-je semblant de m'étonner ?

Vous croyez qu'après avoir pondu un premier bouquin (Vert de rage, Ed. Calmann-Lévy), dans lequel il taillait des croupières à Domenech et à d'autres, Jean-Michel Larqué ne souhaitait pas secrètement voir les Français se planter au Mundial ? Sinon, pourquoi, à peine rentré d'Afrique du Sud, s'empresse-t-il de pondre un autre brûlot (Les secrets d'un fiasco, Ed. du Toucan), pour prendre le monde entier à témoin, lui qui n'était pourtant pas dans le secret des dieux ? Parce qu'en plus, son petit bouquin est une escroquerie ! En tout cas, TF1 a dû comprendre que Larqué faisait passer ses intérêts de pamphlétaire vilipendant Domenech et tout l'establishment de la FFF, plus les joueurs, avant les intérêts de son employeur, qui ne souhaitait qu'une chose, voir l'équipe de France aller le plus loin possible dans la compétition, audimat oblige. Devant un tel hiatus - que, visiblement, ce guignol de Larqué a dû sous-estimer, il était évident que ses jours à TF1 étaient désormais comptés !

Les secrets d'un fiasco, écrivait Larqué. Un fait sans précédent dans l'histoire du football français, pouvait-on entendre et lire ici ou là.

Et c'est là qu'on se dit : non mais, sans blague, ils ont perdu la mémoire !



Memento : je me souviens.


17 Novembre 1993. Paris, Parc des Princes. (source wikipedia)

Comme l'avait prévu le sélectionneur français, le match est fermé, tendu, haché. La France hésite à prendre le jeu à son compte et ne joue pas vraiment pour gagner, mais plutôt pour ne pas perdre. Les Bulgares, quant à eux, tentent vainement d'ouvrir le score, sans toutefois y parvenir.

À la 32e minute, c'est la délivrance pour le public français : Deschamps récupère le ballon dans les pieds de Tsvetanov sur le côté droit et effectue une transversale vers Papin, qui remet de la tête pour Cantona qui marque en force du droit à bout portant.

Le plus dur semble fait, mais l'avantage ne dure que cinq minutes. À la 37e minute de jeu, Blanc rate sa relance et se fait prendre le ballon par Stoitchkov et concède un corner. Sur ce dernier, tiré par Balakov, Kostadinov, au premier poteau, place une tête croisée qui finit sa course dans les buts, malgré Pedros.

Étrangement, la France, au lieu d'essayer de marquer à nouveau, se crispe complètement et retombe dans ses travers en essayant avant tout de défendre, proposant un jeu médiocre techniquement. Papin est totalement mis sous silence par la défense adverse, notamment par Ivanov et est remplacé à la 68e minute par Ginola, prétextant des crampes... La Bulgarie, quant à elle, tente le tout pour le tout.

Les minutes passent et malgré un match plus que laborieux, les Bleus semblent se diriger vers une qualification. Mais tout bascule à la 90e minute : coup franc à droite presque au poteau de corner tiré par Ginola. Celui-ci prend l'initiative de le jouer rapidement. Il centre mais personne à la réception. La défense bulgare intercepte et amorce un contre, Penev lance Kostadinov sur l'aile droite, qui résiste à Roche et vient battre Lama d'un tir puissant sous la barre, malgré un tacle désespéré de Blanc. Houiller en voudra très longtemps à Ginola d'avoir joué le coup franc rapidement alors qu'il ne restait que quelques secondes à jouer. Il aura des mots très durs à son encontre, qualifiant son initiative de « crime contre l'équipe de France ».

Sur l'engagement, les Bleus tentent de forcer le destin mais moins d'une minute après ce but assassin, M. Mottram siffle la fin du match.

C'est une énorme désillusion pour la France, qui à dix secondes près, était en Amérique.

"Crime contre l'équipe de France" avait pesté Houiller à l'encontre de David Ginola !

Personnellement, je n'ai pas le souvenir que les expertises vengeresses aient encombré les rayons des librairies à l'époque. Et pourtant, quel désastre que ce dernier match de qualification raté ! Un hebdomadaire, "Le Sport", dans sa précipitation et pour des raisons de bouclage (Le Sport paraissant le mercredi, jour de la rencontre) avait titré : "Qualifiés !", avec Jean-Pierre Papin, le capitaine, les bras en l'air en première de couverture. Toute une semaine à se farcir cette désastreuse Une. Il me semble que ce fut le dernier numéro de l'hebdo sportif. Pax vobiscum!

Je revois le geste désespéré de Bernard Lama, au moment où Kostadinov décoche son tir au but. Une histoire incroyable, commencée dans le coin droit, près du poteau de corner, où se tenaient Ginola et Guérin. Ce fameux coup franc, ils auraient pu le jouer finement, je veux dire Ginola aurait pu (dû) le jouer intelligemment, en se passant le ballon avec Guérin.

Seulement voilà : Ginola est un latin, un matamore, un frimeur et, de surcroît, il est devant son public du Parc des Princes. Evidemment qu'il veut épater son public. Donc, il chambre les Bulgares, persuadé que le match était terminé. Au lieu d'échanger le ballon avec Guérin, il va balancer cet "exocet" on ne sait trop où, ballon que les Bulgares vont s'empresser de récupérer, pour aller marquer le but après une chevauchée mémorable de Kostadinov.

Le problème de Ginola, "El magnifico", c'est sa propension pour la frime, propension qu'on trouve chez beaucoup de sportifs mais aussi très répandue chez mes cousins africains, mais ça c'est un autre problème sur lequel je reviendrai plus tard. Mais pour empêcher Ginola de jouer les matamores, encore aurait-il fallu un conditionnement préalable, comme à l'armée. Précisément, à l'armée, on use volontiers des vocables "briefing" et "débriefing", pour éviter que les erreurs commises ne se renouvellent. Et visiblement, cette équipe de France de 1993 n'a pas été suffisamment "briefée" ni "débriefée" au cours des matches de qualification, ce qui explique que Ginola ait voulu jouer les électrons libres. Le capitaine s'appellait Jean-Pierre Papin, un attaquant - détail qui a son importance : j'aimerais que l'on me cite une seule équipe championne du monde avec un attaquant comme capitaine ! -, et c'est précisément lui que Ginola remplace en milieu de deuxième mi-temps. Il faut croire que les consignes n'ont pas été très claires, selon lesquelles, vu le peu de temps restant, les joueurs devaient garder le ballon dans les pieds, au lieu de le balancer bêtement.

L'adjoint de Gérard Houiller, en 1993, s'appelle Aimé Jacquet. Je revois encore Jacquet se prenant la tête à deux mains après le but de Kostadinov.



Memento : je me souviens.


9 juillet 2006. Un coup de tête. Passé comme une lettre à la poste. Il paraît que l'Italien l'avait insulté, ou insulté sa soeur ou sa mère. Et pour se venger, il n'a pas hésité à ruiner les chances de la France dans une finale de coupe du monde de football.

Non mais quel con !

Et on me dit que les "caïds immatures" s'appellent Ribéry, Anelka, Evra...

Nous sommes des milliards à avoir pensé qu'il fallait avoir une cervelle grosse comme un pois chiche pour être tombé comme un bébé dans le piège tendu par Materazzi ! Et ce guignol va être quand même reçu en grandes pompes par Jacques Chirac à l'Elysée. Il paraît que le geste d'Anelka, en 2010, justifiait l'interruption des campagnes publicitaires le concernant. Mais Zidane, lui, a toujours profité de moult campagnes publicitaires : des lunettiers par-ci, assurances par-là, jusqu'à cette immonde campagne singeant un jeu vidéo ! Au fait : question à mille euros : malgré son calamiteux coup de tête, Zidane a-t-il touché sa prime en 2006 ?

Moralité à deux vitesses !

Du coup, Anelka et les autres devraient se sentir rassurés : si le coup de tête de Zidane a pu être scotomisé (1) si vite, il n'y a pas de raison pour que le "fiasco" de 2010 ne le soit pas aussi !

Le problème est que le geste de Zidane n'ayant pas été "débriefé", rien ne dit qu'il ne se reproduira plus dans l'avenir, puisque, pour tout le monde - sauf pour moi -, Zidane reste un héros ! Et comme, par définition, un héros c'est quelqu'un d'exemplaire, tout geste commis par le héros reste reproductible par ses admirateurs.

On vit, donc, depuis 2006, sous une épée de Damoclés, que personne n'a pensé à détacher, en tout cas pas Zidane lui-même, qui se promène partout, auréolé du statut de plus grand footballeur de la galaxie, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, même si ce n'est pas mon avis, moi qui n'ai jamais été un admirateur de ce guignol !

Question : qui est allé, dans les cités, dans les banlieues, dans les collèges, lycées, centres de formation, sur les terrains de foot de France et de Navarre, expliquer aux jeunes en formation que le geste de Zidane, en 2006, était une monumentale connerie, au risque d'écorner l'image du grand homme ?

Question subsidiaire : qui, parmi ceux qui cassent aujourd'hui du sucre sur le dos des Anelka, Evra et compagnie, s'est permis de tancer l'acte de violence commis contre Materazzi ? Et où sont les bouquins retraçant l'incroyable coup de folie de Zidane, l'immonde trahison d'un joueur envers son équipe et son pays ?

Il y aurait un petit exercice très drôle à réaliser, consistant à récupérer des coupures de presse récentes et des déclarations vengeresses des uns et des autres, à l'égard de Ribéry, Anelka et consorts, en remplaçant par exemple "Anelka" par "Zidane" et 2010 par 2006. Faites donc un essai. Gare au fou rire !


(source virtuelle : leparisien.fr, 9 juillet 2006)

La ministre des Sports Roselyne Bachelot a affirmé lundi que Zinedine Zidane avait "terni l'image de la France" et que le football français affrontait un "désastre".

Mme Bachelot, qui s'est exprimée à l'issue d'une réunion avec les Bleus, a indiqué avoir dit aux joueurs que le "football français affrontait un désastre", au lendemain du coup de tête qui a valu à Zidane d'écoper d'un carton rouge et de devoir laisser ses camarades à dix au milieu de la seconde mi-temps du match France-Italie.
"J'ai dit à Zidane que ce sont nos gosses, nos enfants, pour qui vous ne serez peut-être plus un héros, a-t-elle ajouté. Ce sont les rêves de votre compagne, de vos amis, de vos supporteurs que vous avez peut-être brisés. C'est l'image de la France que vous avez ternie".

"J'ai encore dit à Zidane que le football français affrontait un désastre pas parce que la France avait perdu un match mais parce que ce désastre était un désastre moral, a-t-elle déclaré. Il faut affronter de face la situation. Ce n'est pas seulement un mauvais moment à passer. Plus rien ne sera plus comme avant. Je l'ai dit à Zidane dans un entretien extrêmement émouvant."

Mme Bachelot affirme avoir vu les "larmes" dans les yeux de Zinedine Zidane quand elle lui a raconté ce que Raphaël Ibanez, avant un match contre les All Blacks, avait "simplement écrit": "Comment voulez-vous qu'on se souvienne de vous?".


(1) Terme cher aux psychanalystes. Fait, pour un sujet, d'exclure inconsciemment une partie de la réalité sur laquelle il projette des désirs "inacceptables".